Il est 17h. Nous finissons une grosse journée de montagne, qui conclut notre traversée de la Thaïlande d'ouest en est. A quelques kilomètres se dessine la frontière Birmane. Nous savons qu'il nous reste au moins une dizaine de kilomètres à parcourir avant le prochain village, où nous comptons passer la nuit. Mais soudain, à travers l'étroit bosquet de bambous qui borde la route, nous apercevons des habitations. La ville, car c'en est une, est magnifique. Une multitude de maisons en bois défient la gravité, leurs pilotis ne reposant que sur des pentes abruptes. Les toits, se dessinent sur la montagne. Ici, pas de tôle ondulée, tous les toits sont faits de larges feuilles sêchées. Quelques habitants déambulent au milieu des petites ruelles. Nous reconnaissons des birmans au tanaka sur leur visage, cette pâte jaune servant à la fois de crème hydratante et de protection solaire. L'endroit est magnifique ! C'est magnifique, mais quelque chose ne va pas. Pourquoi ces airs gênés ? Pourquoi ces barbelés ? Une malaise s'installe alors, face à cette ville n'apparaissant sur aucune carte. Nous tentons de nous rassurer : l'entrée doit être un peu plus loin. Effectivement, quelques dizaines de mètres plus loin, une entrée. Devant la porte, se tiennent des militaires ! Nous nous approchons, commençons à entrer. Nous n'avons pas fait 10 mètres que déjà les militaires nous arrêtent. Nous ne le savons pas encore, mais nous venons de pénétrer dans Mae La Camp, le plus grand camp de réfugié karens de Thaïlande. Entre 40 et 50 mille réfugiés karens vivent ici. Les entrées comme les sorties sont sous contrôle militaire. Pour nous un camp de réfugiés était un campement temporaire, une zone de paix, d'aide à une population. Mae La Camp ressemble plutôt à une immense prison à ciel ouvert, et le temporaire l'est depuis plus de 30 ans. Nous continuons notre route, le village nous semble à présent beaucoup moins joli.Une famille nous interpelle pour regarder notre vélo. Quelques sourires sont échangés à travers les barbelés. Mais un policier nous rappelle à l'ordre. Ne leur parlez pas. C'est dangereux ici, allez-vous en ! Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils ici ? Quels drames ont poussés ces femmes, ces enfants à venir vivre ici ? Le soir, sous notre moustiquaire, nous ne pouvons nous empêcher d'aller faire des recherches. Les karens sont une minorité ethnique, vivant de part et d'autre de la frontière thaïlandaise et Birmane. Au XIXeme siècle la Birmanie devient colonie anglaise. La colonisation profite aux karens, qui bénéficient d'un traitement de faveur de la part de l'empire britannique. En 1942, en pleine seconde Guerre Mondiale, les Japonais envahissent la Birmanie. Alors que la BIA (Armée pour l'Indépendance Birmane) voit dans cette invasion un moyen d'obtenir l'indépendance, les karens se rangent au côté des britanniques pour combattre les japonais et les birmans. On comprend alors, après l'indépendance du pays en 1948, la haine des birmans vis-à-vis des karens, haine qui va rapidement tourner au génocide suite à la prise de pouvoir d'un régime militaire. Aujourd'hui, la KNU (Union Nationale Karen) tente tant bien que mal de protéger les quelques territoires karens de Birmanie. A chaque nouveau raid de l'armée birmane, des centaines de civils karens sont déplacés. Ils tentent de trouver refuge dans la jungle pour échapper au pillage, aux viols et aux violences gratuites des militaires birmans. Les plus chanceux d'entre eux parviennent à franchir la frontière et à rejoindre l'un des camp de réfugiés. Quel avenir pour ces réfugiés ? Les années passent, et le risque est grand de faire de ces personnes des prisonniers de leur situation d'assistés. Comme au temps de sa création, Enfants du Mékong agit dans les camps de réfugiés, et fait un pari audacieux : c'est l'éducation qui permettra à ces populations de se forger un avenir meilleur. Sur une école du camp, il est écrit "Pour changer de monde, l'éducation est l'arme la plus puissante." C'est l'école qui permettra à ces enfants, dont même les parents sont nés dans ces camps, de retrouver une place honorable dans la société, quand la situation politique se sera améliorée, quand les forces au pouvoir cesseront de les balader comme des marionnettes. Enfants du Mékong agit également dans les villages karens voisins. Le lendemain, nous rencontrons Phasin, dans le petit village karen de Poblaki, où sa famille vit depuis des générations. Phasin n'est donc pas réfugié. Il a la nationalité thaï, bien qu'il revendique son appartenance au peuple karen, avec sa langue et sa culture. La famille de Phasin est pauvre, mais vit dans un village qui respire le grand air, sans barbelé, au milieu des montagnes et des rizières. Nous découvrons alors les karens sous un angle différent. Pour eux, l'accueil de l'étranger est au centre de la culture. Un simple tour dans le village de Poblaki, et nous sommes déjà invités par 5 familles différentes. Un café, un soda, un repas : en plus de nous inviter chez eux, ils insistent pour nous offrir quelque chose ! Comment ces gens qui n'ont rien sont-ils si généreux ? -C'est notre tradition, nous explique un jeune couple, après nous avoir offert un sac en tissu et une jupe pour Caroline. Nous le faisons par plaisir, tout simplement. Nous sommes vraiment heureux de vous recevoir. Les karens, peuple aux multiples facettes, connaîtront-ils un avenir aussi généreux ? Trouveront-ils un jour, pour les accueillir une terre aussi hospitalière que l'est leur tradition ?
3 Commentaires
isabelle
4/8/2015 02:53:10 pm
Merci de nous faire découvrir un monde dont nous n'avons jamais entendu parler.
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Aurélien guiet
4/18/2015 06:29:55 pm
La rancœur, l'injustice... votre aventure me fait penser au film : " carnet de voyage" et vous me faites penser au héro de ce film historique...
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Asie-cyclette
4/19/2015 11:34:55 pm
Ah, ben ce film nous a inspiré aussi pour notre bande annonce https://www.youtube.com/watch?v=iVD0xKoUAm4 !
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Octobre 2017
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