Le soleil rougit, et descend petit à petit. Nous sommes au beau milieu d'un parc national, cela fait une heure que nous roulons et pas une maison à l'horizon. Pourtant, nous sommes bien loin de la jungle décrite par Rudward Keepling dans le livre de la jungle. A perte de vue, de la cendre, des souches, des arbres coupés et des champs de manioc. Xavier me propose : -Peut-être vaut-il mieux nous arrêter maintenant et monter notre campement avant que le soleil ne soit complètement couché ? J'appuie sur les pédales encore plus fort, je n'ai aucune envie de dormir au milieu de nulle part, et surtout pas envie de m'éloigner de la route. En effet, ici au nord du Cambodge, terrain non cultivé égal terrain potentiellement miné. On le sait, on le voit tous les jours, les mines font encore des ravages. Cela me fait peur. Mais quelques minutes plus tard, au loin, des toits apparaissent. Je suis soulagée. Il faut encore trouver la force de demander, mais je sais qu'on ne dormira pas dehors ce soir. Une maison en bois nous attire plus que les autres, on ne sait pas vraiment pourquoi. Peut-être parce qu'un troupeau d'enfants y jouent et y rit ! Peut-être parce qu'elle fait un peu plus que le 15 mètres carrés moyens des habitations de la région. Peut-être aussi parce qu'elle ressemble vraiment à une maison et non à un poulailler ou à une cabane de jardin. Peut-être enfin parce qu'une femme nous lance un "hello", agrémenté d'un beau sourire. Nous nous arrêtons devant elle, et entendons déjà les rires des enfants et les sifflements admirateurs des voisins. Xavier part à la charge ; l'exercice est difficile : malgré la barrière de la langue, il faut arriver en un temps très court à expliquer notre projet et à demander l'hospitalité. Ici, vit une femme et ses 5 enfants... Sa réponse est oui. Elle a répondu sans réfléchir, naturellement. Le oui est sorti tout seul, comme si la question ne se posait même pas : je peux vous aider, alors je le fais. Mais au bout de quelques minutes, nous sentons une gêne s'installer. -Vous savez, pour nous il n'y a pas de problème mais.... mais nous n'avons pas de douche, ni de toilette... La maison n'est pas belle, et elle est toute petite. Elle n'est pas faite pour accueillir des 'barang" (=des occidentaux). Ici, le "barang", le blanc, est considéré autrement. Le blanc, a besoin de confort. Le blanc ne peut pas survivre sans électricité, sans son papier toilette, sa douche chaude et son wifi. Le blanc doit prendre des médicaments spécifiques. Il ne peut pas manger notre nourriture trop épicée, ne peut pas boire notre eau. Le blanc est un être différent qui a besoin de plein de trucs pour survivre. Alors forcément, cela les surprend quand nous disons que nous pouvons faire comme eux ! Nous finissons de les convaincre que nous pouvons vivre comme eux, à coup de "baan" (oui, on peut) et de "at mian panihaa" (il n'y a pas de problème). Petit à petit, l'atmosphère se détend, mais nous sentons encore une petite gène... -Etes vous sure que tout va bien ? C'est le voisin, qui vient à la rescousse : -Ma voisine est très gênée. Elle aimerait vous offrir le repas, mais elle n'a pas assez de nourriture pour tout le monde. Elle aurait un peu de riz, mais rien pour aller avec... Voulez-vous qu'elle aille vous acheter quelque chose au marché ? L'incroyable hospitalité des khmers les pousse parfois à nous accueillir "au dessus de leurs moyens". Ne voulant pas abuser, et encore moins mettre sa famille dans une situation gênante, nous dégainons de nos sacoches nos "Mama", les soupes aux nouilles lyophilisées, que nous avons toujours en stock pour ce genre de situation. En voyant notre enthousiasme, contrastant avec nos paquets de nouilles froissés, écrasés et poussiéreux, notre hôte éclate de rire. La soirée peut commencer ! Nous restons un instant assis à coté de la grand-mère, une de ces femmes sans âge que l'on ne rencontre que dans les pays exotiques. Pendant que je tente un croquis, nous apercevons notre hôte qui nettoie la maison pour nous... Nous sommes touchés, et quelque part un peu gênés, par tant de gentillesse et d'attention à notre égard. Le soleil est couché. Nous montons dans leur maison sur pilotis et allumons l'unique ampoule, branché sur une batterie de voiture. Ce soir, nous ne sortirons pas la caméra. Nous ne voulons pas intimider ou gêner nos hôtes, avec cet œil technologique parfois indiscret. Ce soir, ce sera le soir du yukulélé... Les grands yeux noirs des enfants s'écarquillent, les oreilles se tendent ! Le petit dernier lutte, dans les bras de sa sœur, pour garder les yeux ouverts ! Le Yukulélé passe entre les mains des enfants. Puis c'est au tour de Loup et de nos petites marionnettes de faire leur apparition ! Timidement, les enfants commencent à jouer avec nous ! Loup a le droit a de gros câlins ! La maman, avec son magnifique visage, et son sourire doux, nous regarde l'air attendri. Ces moments pourtant si simple révèlent une véritable magie. Puis, c'est le moment des devoirs. Mais pas pour tous ; en effet, l'ainée, malgré ses 14 ans, ne va plus à l'école. Comme souvent dans les familles Khmères, elle est "sacrifiée" pour soutenir sa famille. En travaillant dans les champs, elle permet à ses sœurs d'étudier, et d'espérer un avenir meilleur. Pendant que ses deux sœurs cadettes lisent, elle regarde d'un air mélancolique les photos d'un imagier anglais-khmers avec son petit frère de deux ans. Ces signes ne veulent rien dire pour elle. Elle nous parait si fragile. Lorsque nous nous glissons sous notre moustiquaire (vers... oh la la, au moins 20h30 !!), nous repensons aux enfants parrainés, à ceux qui étudient, qui se battent pour s'en sortir, et à tous ceux qui n'ont pas encore cette chance. C'est pour eux que nous pédalons. Pour ces moments là, pour ces rencontres, pour ces témoignages. Mais le chemin est encore long...
6 Commentaires
Marie
1/31/2015 08:33:00 pm
Quel joli témoignage... Touchant et tellement réel... Je vous embrasse fort. Bises.
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papa et maman Guignard
2/1/2015 04:36:28 am
merci !!! tout simplement merci.
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les crevettes
2/1/2015 04:54:42 am
Votre pudeur rend votre temoignage encore plus fort!
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Mike
2/1/2015 07:50:37 am
Les jours passent et les rencontres sont formidables, votre aventures est incroyables, je vous embrasse bien fort.
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Sébastien
2/24/2015 09:47:37 pm
Merci.
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